samedi 27 février 2016

À propos de la réforme de l'orthographe (1)

Que l'orthographe française n'est pas facile, on le sait; les enfants en particulier et les apprenants de français en général font souvent les frais de cette discipline à la fois capricieuse et mystérieuse. Rien de surprenant donc, à ce que l'administration tente de la simplifier ou de la rendre plus accessible, c'est quelque chose qui rentre dans la logique. Ce qui peut nous sembler un peu moins normal, c'est que les tentatives de réforme se répètent dans le temps sans (presque) jamais avoir atteint leur but.

Il y a quelques semaines, la ministre de l'Enseignement, Najat Vallaud-Belkacem, a encore une fois ravivé la polémique en annonçant la reprise des recommandations du Conseil supérieur de la langue française, validées par l'Académie française et publiées au Journal Officiel de la République (édition des documents administratifs)... du 6 décembre 1990! Vingt-six ans plus tard, le Ministère et les éditeurs semblent prêts une fois pour toutes à mettre effectivement en place la nouvelle orthographe pour la rentrée scolaire 2016, avec l'entrée des rectifications orthographiques dans les manuels scolaires.

Levée de boucliers, le débat est aussitôt lancé: partisans et détracteurs, chacun y va de sa petite rengaine pour applaudir ou blâmer ce qui a été établi il y a 26 ans et qui, ne l'oublions pas, ne constituerait qu'une deuxième possibilité d'orthographe qui rejoint celle dite 'traditionnelle'. Pour les uns, il était déjà temps, ou bien la réforme n'est que trop timide, frileuse, il aurait fallu aller plus loin, la rendre plus générale et toucher d'autres points; pour les autres, c'est l'identité de la langue française qui est en jeu, c'est la défaite face à l'effort des élèves, c'est le nivellement par le bas et, à la fin, un nouveau tour de vis dans le processus d'appauvrissement de la langue, entre autres.

Pierre Perret, alors qu'il était précisément membre du Conseil supérieur de la langue française, avait chanté avec humour La réforme de l'orthographe (éditions Adèle, 1992), dont vous pouvez retrouver les paroles sur le site de l'artiste.



Finalement, où en est-on? En quoi consiste cette nouvelle orthographe qu'on nous annonce encore une fois? Pour répondre à ces questions, nous vous proposons de faire le point ici, dans une courte série d'articles, sur les règles à appliquer et les mots du quotidien qui seraient le plus directement touchés.

Et pour commencer, on peut le faire avec le tréma, ce joli "signe formé de deux points superposés que l'on met sur les voyelles e, i, u, pour indiquer que la voyelle qui précède doit être prononcée séparément, et sur les voyelles a et o dans certains emprunts" (définition du Petit Robert); par exemple, 'aïeul', 'archaïque', 'baïonnette', 'coïncidence', 'héroïne', 'laïque', 'maïs', 'naïf', 'stoïque' et tant d'autres se prononceraient autrement s'il n'y avait pas ce signe pour nous le rappeler. Car, ne l'oublions pas, un signe doit servir à quelque chose, en l'occurrence à différencier deux sons. En tout cas, aucun problème ne se pose quand le tréma est situé sur une voyelle qui est prononcée.

Or, il arrive que dans certains mots l'orthographe traditionnelle veut que ce tréma surmonte une voyelle muette, ce qui peut dérouter plus d'un au moment de la prononciation; c'est le cas d'adjectifs féminins comme 'aiguë', 'ambiguë', 'contiguë', 'exiguë'... qui sont en réalité prononcés exactement comme la forme du masculin ('aigu', 'ambigu'...). Les Académiciens ont trouvé donc normal de déplacer le tréma pour le situer sur la voyelle effectivement prononcée, si bien que ces mots peuvent désormais s'écrire 'aigüe', 'ambigüe', 'contigüe' ou 'exigüe'. Les mots de la même famille contenant le groupe gui prononcé [gɥi] seront désormais également marqués de ce tréma sur la lettre u, au lieu de la lettre i: 'ambigüité', 'contigüité', 'exigüité'... Dégâts collatéraux, Le Petit Robert va devoir changer sa définition de tréma.

Selon le même modèle, d'autres mots ont vu leur tréma se déplacer pour s'adapter à l'air du temps; Socrate ne boira plus la ciguë, mais une bonne dose de cigüe (d'ailleurs, il aurait mieux fait de manger des figues, là il n'y a ni poison ni tréma à placer ou déplacer). De même, pour éviter des prononciations défectueuses (car parfois celui qui voulait arguer risquait, faute de connaissances suffisantes, de se faire larguer), on a préféré écrire 'argüer' et ajouter le tréma tout au long de la conjugaison de ce verbe.

Même chose, pour finir, avec ces mots qui contiennent eu prononcé [y] comme le participe passé du verbe 'avoir' eu: 'gageure', ou 'vergeure' se voient surmontés d'un tréma sur leur u. Franchement, c'est une vraie gageüre que de pouvoir utiliser un de ces mots dans la conversation courante...

Ce que les linguistes (prononcez [gɥi], sans tréma) ne nous ont pas expliqué, c'est pourquoi, chez eux, cette règle n'est pas valable: ils sont comme des anguilles ([gi]) qui glissent entre nos doigts, et mieux vaut chercher une aiguille ([gɥi]) dans une botte de foin plutôt que d'espérer trouver une réponse logique à ces incongruités. Quitte à vous sembler égoïstes, on dirait que tout cela ressemble à un capharnaüm que nous supportons stoïquement au risque de devenir paranoïaques.

À suivre...





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