vendredi 29 avril 2011

Trente ans après, coquin de sort, il manque encore

Ce n’est que le 21 octobre 1981 que Georges Brassens est parti pour la tournée dont on ne revient pas. Pourtant, les commémorations fusent de partout sans attendre la date exacte de l’anniversaire de sa disparition. Cette "logique calendaire" a été bousculée notamment par l’exposition Brassens et la liberté. Il y a une excuse, certes : une exposition demande beaucoup de temps. Il me semble quand même qu’il s’agit peut-être d’une certaine impatience de rendre hommage à celui qui a marqué plusieurs générations avec son verbe souvent moqueur, toujours précis. D'ailleurs, il faudrait se demander d’où nous vient cette dévotion envers le système métrique décimal, pourquoi choisir des multiples de dix pour se rappeler quelqu’un qui appartient de plein droit à notre mémoire collective ?
Où qu’il soit, ça doit bien lui donner envie de rire, lui, si étranger aux conventions.

Et pourtant j’ai envie de dire, d’écrire quelque chose sur Brassens. Ce n’est pas en vain que j’ai écouté ses chansons pendant des décennies. Mais quoi? Ce n’est pas les biographies qui manquent, ou les traductions de ses chansons. Il y a même un site où on peut lui poser des questions!



Il déclare ouvertement être « né avec cinq siècles de retard ». On peut en effet le considérer un troubadour moderne ou, plutôt, un Rutebeuf qui a su rompre avec les traditions précédentes: l’inlassable inventeur d’histoires n’a pas hésité à nous parler de ses misères et des difficultés de la vie. Ainsi, il nous raconte le temps où il vivait dans le troisième dessous, et dans L’Auvergnat il cite deux des personnes qui l’ont accueilli : Louis Cambon (l’Auvergnat) et Jeanne Planche, l'hôtesse pour qui il composera la célèbre La cane de Jeanne. Cette chanson est tirée d'une anecdote réelle (en tout cas, rapportée par Brassens lui-même). Comme tous étaient très pauvres chez Jeanne, ils avaient obtenu une cane pour la manger. Le problème, c'est que tous aimaient trop les animaux pour pouvoir la tuer ; si bien qu'elle est décédée de sa belle mort !



Et que dire de l'hommage que Brassens a rendu à Puppchen en chantant La non-demande en mariage, symbole de l'amour sans entraves qu'il lui a voué pendant plus de trente ans?



Louis-Jean Calvet, dans sa biographie de Brassens, nous raconte qu'"ils vivront une vie commune séparée, chacun chez soi mais toujours ensemble. Chacun en effet a son appartement. Georges téléphone tous les jours à Joha qui passe le voir fréquemment; elle ira avec lui dans sa maison de campagne à Crespières puis à Lézardrieux, elle le suivra en tournée, toujours là, toujours dans les coulisses, veillant à tout. Mais en même temps, chacun gardera ainsi sa distance, sa liberté." (L-J. Calvet, Georges Brassens)

Lors de l'occupation, il a été transféré en Allemagne, au camp de Bassdorf. Pour se venger de cette époque, il écrit Entre la rue Didot et la rue de Vanves. De toute évidence, l'anecdote est inventée. Mais cette chanson nous mène à un des poncifs que l'on entend le plus souvent sur le Sétois: "Brassens, c'est toujours pareil". Eh bien, c'est une phrase jamais prononcée par un musicien: outre les pétillantes mélodies qui foisonnent dans son œuvre, il s'agit de quelqu'un qui a travaillé la guitare et l'harmonie pendant toute sa vie.

J'étais alors en train de suer sang et eau,

Entre la rue Didot et la rue de Vanves,
De m'user les phalanges
Sur un chouette accord du père Django

Regardez plutôt cette vidéo où
Maxime Le Forestier explique la progression de son maître




"En public, il faut que je me souvienne de mes paroles, ce qui est assez difficile". Voilà la clé: l'importance des paroles. C'est peut-être la raison pour laquelle il a toujours tenu à montrer ses chansons dans leur plus simple appareil: sa voix, sa guitare, Pierre Nicolas à la contrebasse et Joël Favreau à la deuxième guitare. Mais elles auraient pu supporter n'importe quel arrangement, comme le prouve le finger-picking effectué par Marcel Dadi dans la version de "Une jolie fleur" que vous venez d'écouter.

Ou l'arrangement swing-surprise de l'orchestre d'Armand Motta sur "Les copains d'abord"


Il a commencé avec deux accords mais, à la fin de sa vie, il se servait de l'Anatole et du Christophe comme un jazzman accompli qui, sous une couverture simple, produisait des harmonies étonnantes




Enfin, bref, il a beau essayer de nous faire croire qu'il est mort, avec nous, ça ne prend pas. La preuve: dimanche prochain il y aura un hommage à Brassens ici même, à Saragosse.

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